Ce que dit Benoît XVI sur le préservatif dans son livre-entretien avec Peter Seewald « Lumière du monde » (publié en France chez Bayard, sortie le 3 décembre prochain) ne relève pas de la « morale » du « moindre mal » précise Mgr Tony Anatella qui accorde cet entretien à Zenit pour comprendre ce que le pape a vraiment dit.
Monseigneur Tony Anatrella est psychanalyste et spécialiste de psychiatrie sociale. Il enseigne et consulte à Paris. Il est consulteur du Conseil Pontifical pour la Famille et du Conseil Pontifical pour la Santé à Rome. Il est membre de la Commission Internationale d’Enquête sur Medjugorje de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
Il a publié : « L’amour et le préservatif », Paris, Flammarion. Un livre qui reste d’actualité et qui a été réédité sous le titre : « L’amour et l’Eglise, Paris, Champ-Flammarion. Cet ouvrage traite de la vision sanitaire et de la représentation sociale de la sexualité qui se sont développées à partir de la prévention contre le sida centrée uniquement le préservatif. Il montre comment le discours technico-sanitaire s’oppose au discours relationnel et responsable sur la sexualité de l’Église.
Il a également publié « Le règne de Narcisse » Paris, Presses de la Renaissance sur les aspects psychologiques de l’homosexualité et les enjeux des revendications pour le mariage et l’adoption des enfants par des personnes de même sexe.
Enfin son dernier ouvrage paru : « La tentation de Capoue, - anthropologie du mariage et de la filiation - Paris, Cujas. Un livre qui s’interroge sur les modifications en cours où l’on voudrait ouvrir le mariage et la filiation de façon déguisée à des partenariats unisexués.
Zenit : Le Pape Benoît XVI vient-il d’ouvrir une « brèche » comme disent les médias et de libéraliser le préservatif ?
Monseigneur Tony Anatrella : Le Pape Benoît XVI n’a ouvert aucune brèche pour souscrire au cliché sexuel de l’époque actuelle. Ce qui voudrait dire qu’il faudrait déstabiliser l’édifice moral de l’Église pour le mettre et le confondre avec les modèles comportementaux valorisés par les médias. Il n’a pas davantage entendu la base comme l’affirment certains commentateurs, car la réflexion morale si elle considère le vécu et l’état des subjectivités, trouve son fondement au sein de la vérité de l’amour (Caritas in Veritate). Il ne crée pas un nouveau principe, il s’inspire de ce qu’est la sexualité vécue dans l’engagement constant de l’amour afin d’éclairer des comportements. Le Cardinal Ratzinger a toujours tenu des propos identiques sur le sida et sur le préservatif dès la fin des années 1980. Ici, dans ce livre il nous propose un exercice d’élucidation morale.
En mars 2009 alors qu’il se rendait en Afrique, il avait rappelé que le préservatif n’est pas la solution pour enrayer la propagation du Sida, « au contraire cela risque d’augmenter le problème » avait-il dit. Il affirmait avec juste raison qu’une conception purement pragmatique et sanitaire empêche de voir les enjeux psychologiques et moraux afin de changer de comportement. Il ne suffit pas de se dire : « je suis dans une situation difficile ou que nous sommes tous pécheurs » pour accepter en l’état ses pratiques sans chercher à se remettre en question et à tenter de les changer.
Dans ce livre d’entretien qui a pour titre « Lumière du monde », il revient sur une idée qu’il a souvent soutenue, comme la plupart des évêques et des prêtres, pour s’en inspirer dans la mise en pratique de la théologie morale afin d’élucider des situations particulières, avec notamment la notion du « discernement » lorsque, dans certaines situations extrêmes et exceptionnelles, il faut éviter de mettre en danger autrui et se mettre soi-même en danger. Bref de ne pas être un instrument de mort.
Ce que dit Benoît XVI n’est pas nouveau sous sa plume, il vient seulement mettre en pratique un discernement moral face aux actes dans lesquels certaines personnes sont impliquées, mais dont la situation ne peut pas être érigée en loi générale. Autrement dit, répétons-le, il n’affirme pas un nouveau principe mais il part du principe de ce qu’est l’amour humain afin de faire progresser un sujet vers un comportement davantage fondé sur le sens de la responsabilité morale. L’argument sanitaire ne remplace pas la morale.
La démarche de Benoît XVI n’a rien à voir avec ce que l’on appelait autrefois « la morale de situation » et qui reste encore présente dans les mentalités actuelles, avec l’idée « du moindre mal », dans le sens où les principes sont adaptés selon les circonstances. Il y a ainsi une vision erronée de ce que Jean-Paul II qualifiait de « loi de la gradualité » afin d’orienter ses actes vers une fin qui est le bien et non pas de se contenter de sa situation faute de pouvoir mieux faire. Les commentaires des propos du Pape en faussent actuellement le sens.
Zenit : Que dit exactement le Saint-Père ?
Benoît XVI dit dans « Lumière du monde », je le cite en français selon la version italienne, en s’arrêtant au cas d’une prostituée :
« Il peut y avoir des cas individuels, comme quand une prostituée utilise un préservatif, où cela peut être un premier pas vers une moralisation, un début de responsabilité permettant de prendre à nouveau conscience que tout n’est pas permis et que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on veut. Mais ce n’est pas la façon à proprement parler de venir à bout du mal de l’infection du VIH. Cela doit réellement se produire dans l’humanisation de la sexualité. Se polariser sur le préservatif signifie une banalisation du sexe et c’est exactement le danger que beaucoup de gens considèrent le sexe non plus comme une expression de leur amour, mais comme une sorte de drogue, qu’ils se fournissent eux-mêmes. »
Le Pape se situe dans l’étude de cas, pour rappeler ensuite le principe général qui guidera une saine prévention contre le sida. Il est donc dans l’analyse morale d’une situation singulière et exceptionnelle. Il ne dit pas, comme certains éditorialistes l’ont écrit, « d’un premier pas sur le chemin d’une sexualité plus humaine ». Benoît XVI dit exactement : « « cela peut être un premier pas vers une moralisation [...] ». Ce qui n’est pas la même chose puisque le préservatif en lui-même n’a aucune valeur pour humaniser la sexualité.
Le Pape prend en compte le fait de la prostitution qui est l’exemple, et par extension, des relations avec de multiples partenaires comme d’autres personnes peuvent le vivre à travers des relations éphémères et sans lendemain qui ne sont pas significatives, par définition, de relation amoureuse.
Zenit : Donc Benoît XVI nous donne donc un exemple de réflexion morale ?
Oui, il s’agit bien de cela. Dans le texte en italien, le Pape parle « d’une prostituée » (et non pas d’un prostitué), c’est-à-dire d’expérience extrême de la sexualité qui concourt à la déshumaniser. Le recours au préservatif, envisagé dans cette situation singulière, est un « premier pas » vers « la moralisation de ses actes » ou « le début de la responsabilité » en s’inspirant de la loi morale afin d’apprendre à dépasser certains comportements. Plus précisément, il peut s’agir pour la personne et pour l’autre de ne pas causer davantage de tort à soi-même et à autrui en ajoutant un mal à une transgression. C’est une façon, en s’imposant cette limite sanitaire, de commencer à penser que tout et n’importe quoi ne peut pas être vécu. « On ne peut pas faire tout ce que l’on veut » dit le Pape. Nos décisions et nos décisions les plus intimes se prennent toujours en fonction de la loi morale de l’amour telle que l’Église nous l’enseigne. La plupart du temps, les gens éprouvent une grande souffrance et une déception de ne pas trouver le bien-être qu’ils croyaient obtenir dans toutes sortes de pratiques sexuelles. La culpabilité apparaîtra souvent comme une résultante et « le début » d’un signe de sagesse après avoir franchi une frontière, aussi bien au plan psychologique avec un self trop labile émotionnellement, et au plan moral avec un manque de conscience des enjeux ; une culpabilité dommageable à bien des égards.
C’est pourquoi le Pape a raison de poursuivre son idée en considérant que centrer toute la prévention uniquement sur le préservatif « banalise le sexe », crée de la dépendance comme la drogue et n’humanise pas la sexualité puisque l’expression génitale dans le cas de la multiplication des partenaires ne s’inscrit pas dans une relation amoureuse engagée et fidèle. La prévention contre le sida doit surtout en appeler à la responsabilité de chacun sur ses comportements. Le Pape ne libéralise donc pas le préservatif, il indique une voie de réflexion morale au cas par cas. Une perspective qui n’est pas nouvelle dans l’Église et qui a été largement soulignée ces dernières années. Le Cardinal Jean-Marie Lustiger l’avait évoqué en France lors d’une interview au journal L’Express en 1988. Il disait : « Ceux qui n’y parviennent pas (à vivre dans la chasteté de l’amour) doivent, en utilisant d’autres moyens, éviter le pire : ne donnez pas la mort. ». Mais les médias, au lieu d’être dans ce discernement moral, sont positionnés de façon enfantine autour du permis et du défendu. Dans la réalité les choses sont plus complexes. Et cela n’a rien à voir avec l’attitude du Christ sur la croix à l’égard du bon larron qu’un commentateur peu averti s’est cru obligé de comparer à un prostitué homosexuel en refaisant l’histoire à l’aune des idées contemporaines. Nous sommes là dans la surinterprétation qui sert d’autres intérêts qu’une saine compréhension des propos du Saint-Père.
Zenit : Vous dites que le Pape avant d’être dans la charge du successeur de Pierre a tenu des propos similaires ?
Oui ! Je cite dans mon livre L’amour et l’Église (Flammarion) à la page 226, ce que le Cardinal Ratzinger disait à ce sujet au journaliste (G. Mattia) du journal La Croix en date du 22 novembre 1989. Il affirme que le préservatif est une question de « casuistique », c’est-à-dire d’une réflexion morale qui analyse la singularité d’une situation personnelle au regard des principes de l’amour, surtout lorsqu’il s’agit, répétons-le, de cas extrêmes avec un danger mortel pour soi et pour autrui.
Voici ce que disait, à l’époque, le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi : « L’erreur de base est de centrer le problème du sida sur l’usage du préservatif. Certes, les deux se rejoignent à un certain point, mais là n’est pas le vrai problème. Se polariser sur le préservatif comme moyen de prévention, c’est mettre au second plan toutes les réalités et tous les éléments humains qui entourent le malade, et qui doivent demeurer présents dans notre réflexion. La question du préservatif est marginale, je dirais casuistique. [...] Il me semble que le problème fondamental est de trouver le juste langage en la matière. Pour ma part, je n’aime pas l’expression de « moindre mal ». [...] Ce qui est clair, c’est la nécessité d’une sexualité personnalisée, que je considère être la meilleure et l’unique prévention véritable. Il faut en tenir compte non seulement du point de vue théologique, mais aussi du point de vue des sciences. »
Toute sa réflexion est ainsi résumée. Nous pouvons en tirer quelques points majeurs pour répondre aux commentaires médiatiques actuels.
1- La prévention sanitaire contre le sida a figé la réflexion sur le préservatif en privilégiant la vision d’une sexualité technologique. C’est pourquoi j’ai écrit le livre « L’amour et l’Église » pour mettre en valeur les enjeux neutralisés. Le préservatif sert de masque aux questions que l’on ne veut pas entendre et se poser.
2- Le préservatif est l’unique moyen soutenu afin de justifier toutes les orientations sexuelles et toutes les pratiques sexuelles qui posent divers problèmes psychologiques, sociaux et moraux. Il n’est pas significatif du sens de l’amour et du respect d’autrui, tout simplement une mesure primaire de prudence dans des cas extrêmes. Une sexualité éclatée qui renvoie au morcellement des personnalités et de la relation, et à la difficulté d’accéder à une véritable maturité affective et sexuelle. Les personnalités deviennent ainsi floues et inconsistantes.
3- C’est pourquoi le préservatif est « une question marginale » alors que l’essentiel est de savoir humaniser la sexualité en tenant compte de la dignité de la personne humaine, de ce que représente une relation aussi intime, de l’engagement et de la fidélité qu’elle implique. Ce sont autant de réalités auxquelles aspirent la plupart des gens mais qui sont faussées dans le discours social avec des thèses qui déshumanisent les relations et désexualisent le corps humain. D’où un surcroît, à la fois d’érotisme dans tous les visuels médiatiques et sur Internet, et une amplification des procédures judiciaires pour des agressions sexuelles (50% des procès d’Assises concernent des agressions commises en famille). Tel est le paradoxe dans lequel nous sommes.
4- La réflexion que propose le Pape n’est pas de l’ordre du « moindre mal » comme on a pu le lire ici ou là. Ce concept est étrange, car il laisse entendre que l’on pourrait se complaire encore dans le mal au lieu de chercher à s’en dégager. Cette catégorie morale n’a pas lieu d’être, elle renvoie à une mauvaise compréhension de la « loi de la gradualité » comme le note Jean-Paul II dans « La splendeur de la Vérité » et dans « L’Évangile de la vie ».
La transmission du VIH est tout à fait évitable grâce à la qualité de son style de vie. Autrement dit, si le virus de la grippe se contracte facilement et malgré soi, il n’en va pas de même avec celui du sida qui implique des contacts intimes. Ce qui veut dire que sa transmission résulte de pratiques sexuelles que l’on adopte alors que ceux qui vivent dans l’abstinence et la fidélité n’ont rien à craindre même s’ils s’occupent de malades du sida avec attention.
Zenit : Comment comprendre cette nouvelle flambée médiatique ?
C’est l’obsession médiatique sur le sexe et l’Église. J’ai passé cette semaine à Rome et dès samedi les journalistes étaient en quête de trouver qui accepterait de répondre sur le champ à ce qu’ils croyaient savoir des propos du Pape. Cette crispation et cette mise en scène des médias dénotent une vision sanitaire de la sexualité dont on ne veut pas sortir. On souhaite être conforté dans l’idée d’un sexe « couvert » qui protège de tout et éteint le sens de la responsabilité.
Une fois de plus dans l’obsession contemporaine qui entoure la sexualité, et en particulier la fixation sur le préservatif, on fait dire au Pape ce que l’on veut bien entendre. Ne faut-il pas y voir un besoin d’être rassuré et légitimé dans ses actes plutôt que d’être interrogé sur leur signification et la façon de progresser moralement ? Ce phénomène est d’autant plus vrai que nous sommes dans une ambiance sociale où tout semble sexuellement possible et que chacun fait ce qu’il veut puisque, dans une vision narcissique, on affirme « qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien » ou que « le consentement » entre deux personnes qualifierait moralement les actes posés alors qu’ils peuvent objectivement être désordonnés. La loi subjective prend le pas sur la loi objective : ce que l’on appelle le relativisme moral et qui s’accompagne d’un besoin de s’auto-justifier en particulier dans le domaine de la sexualité qui serait amorale. Ou comme on entend souvent dire : « Il faut bien évoluer avec son temps ! » Mais de quelle évolution s’agit-il ? Il y aurait matière à réflexion afin de savoir quelles sont les idées à la mode et quelles sont les forces en présence qui obligent à se tourner vers une direction (le relativisme) plutôt qu’une autre (le relationnel engagé) ? Quels sont les acteurs de cette transformation, les leaders d’opinion qui entraînent les pensées et les comportements dans un sens voulu ? Les représentations sociales n’évoluent pas malgré nous !
Zenit : Des paroissiens ont été interviewés en France, à la sortie de la messe dominicale du 21 novembre 2020, alors que les journalistes leur affirmaient que « le Pape autorisait le préservatif dans certaines conditions », certains étaient satisfaits et d’autres plutôt dubitatifs, comment analyser ce phénomène ?
Les questions sont tellement induites que les gens surpris par le micro et la caméra tentent plus ou moins de répondre dans le sens convenu. Ainsi, certains laissaient entendre qu’ils prenaient acte de ce changement d’orientation alors qu’il ne s’agit pas de cela. A entendre et à voir ce qui se passe à la radio et à la télévision, il y a une sorte de déficit de réflexion sur la sexualité humaine au-delà des banalités d’usage et des conformismes actuellement à la mode au sujet d’une vision principalement sanitaire. Ce qui favorise l’instrumentalisation de l’expression sexuelle. Le préservatif a remplacé la réflexion morale. Grâce au préservatif, on peut faire ce que l’on veut. L’argument sanitaire et devenu une « valeur » morale au même titre que la loi civile se confond avec la loi morale même si le législateur vote des lois immorales. Les chrétiens, sous l’emprise des modèles médiatiques, pensent de cette façon sans aucun esprit critique et sans véritable référence morale.
Le Pape évoque une banalisation de l’acte sexuel et redit avec force que le préservatif ne saurait être le seul moyen de la prévention. Celle-ci relève de l’éducation au sens de l’amour qui ne se partage qu’entre un homme et une femme. C’est pourquoi l’Église privilégie l’abstinence et la fidélité qui expriment au mieux les qualités morales du sens de l’amour. Là où ces mesures préventives sont appliquées, l’expansion virale s’est considérablement réduite : les faits le prouvent bien.
Zenit : Comment envisager une prévention en tenant compte de ces principes réalistes ?
L’Église propose une voie différente à celle d’une simple perspective sanitaire car les mœurs actuelles mettent en question des équilibres de l’écologie humaine, surtout lorsque les « nouvelles » formes de sexualité que l’on tente d’imposer à la société devraient être source de vie conjugale et familiale alors qu’elles ne correspondent en rien au sens de l’amour.
Les principes pourraient être les suivants :
1- La nécessité des soins et de l’accompagnement des malades du sida sans exclusive ; à laquelle s’ajoute l’assistance des familles et des personnes en difficultés. L’Église sait de quoi elle parle puisque 28% des institutions mondiales qui prennent en charge la prévention, les malades du sida et leur famille sont des structures ecclésiales.
2- L’éducation au sens de la responsabilité personnelle afin d’apprendre à situer ses sentiments, ses émotions et ses attraits dans la perspective de l’amour.
3- La prévention centrée sur la découverte de la richesse de la préparation à s’engager au nom de l’amour, de comprendre le sens de l’abstinence comme préparation du don de soi, et sur le sens de l’engagement et du sens de la fidélité qui est à la base du développement de la relation conjugale.
C’est pourquoi, dans cette perspective, le préservatif pourra être considéré éventuellement comme un recours dans des cas exceptionnels et extrêmes, tel est le sens de l’exemple d’une prostituée, et non pas pour s’adonner à une sexualité diffuse et sans aucune exigence relationnelle.
Zenit : Le Pape ne se rallie donc pas à la « théologie du moindre mal » ? Un texte sera-t-il publié sur le préservatif et comment assurer la formation des laïcs ?
L’essentiel a déjà été dit. En ce qui concerne cette notion du « moindre mal », elle n’est pas pertinente ni tenable. Elle correspond à un bricolage théorique qui évite de réaliser un véritable diagnostic et une pédagogie morale. Dans l’idée que le Pape donnerait « son accord » pour le préservatif, alors qu’il n’en pas question, toutes les supputations sont affirmées en laissant entendre qu’un « texte serait à l’étude à la Congrégation pour la Doctrine de la foi », ce qui ne semble pas du tout être le cas. Ou encore que « le Pape se rallie à la théologie du moindre mal », qu’il y a « une avancée majeure ». Tous ces commentaires sèment une fois de plus la confusion, alors qu’il n’y a rien de nouveau. Nous sommes plutôt dans l’interprétation projective quand la plupart des médias tentent de manipuler les propos du Pape pour venir justifier les comportements présents d’une sexualité éclatée et dissociée du sens de l’amour, du don et de l’engagement, et de la procréation.
A travers la réaction de nombreux catholiques surpris à la sortie de la messe dominicale par les caméras et les micros en affirmant ce que les médias veulent entendre, des nécessités s’imposent. On perçoit bien qu’il devient important de donner une formation plus consistante aux laïcs sur diverses questions, notamment le mariage, la famille et la sexualité qui relèvent à la fois d’une réflexion anthropologique et d’une réflexion de théologie morale alors que bon nombre de chrétiens connaissent à peine les données de base du Catéchisme de l’Église Catholique. Certains même en viennent à exercer des responsabilités importantes dans l’Église et confondent l’enseignement de la foi chrétienne avec des idées mondaines. De ce fait, on ne sait plus de quoi l’on parle surtout lorsque l’on veut retenir uniquement l’Évangile sans prendre en compte toute la pensée anthropologique et ecclésiale qui s’est développée en extension aux paroles du Christ. Différentes attitudes témoignent de cette dérive. Des catholiques, comme bon nombre de citoyens, finissent par penser comme pensent les médias. Cette emprise est inquiétante car elle manifeste une dépossession de soi, de son intelligence et des connaissances objectives en la matière.
Zenit : L’Eglise restera-t-elle toujours incomprise ?
L’Évangile est, comme le Christ l’a annoncé, un signe de contradiction. Il en va de même avec l’Église puisqu’elle est le corps du Christ et continue sa mission. Ce n’est pas seulement, loin de là, un problème de communication que l’on pourrait régler avec quelques bonnes techniques et recettes de marketing, mais d’un écart de fond sur le sens même de l’existence qui se vit à la lumière ou en dehors de la révélation du Christ. Elle nous propose la vérité sur l’homme à partir de laquelle s’élabore notre existence, là, où dans le monde on nous affirme que « tout se construit », que « la vérité n’existe pas » que « nous avons à la construire ensemble ». Certes, nous nous développons psychologiquement et chacun met en œuvre une personnalité singulière, mais l’homme dans sa structure ontologique ne se fabrique pas, il se reçoit et s’accueille. Sinon, il n’y a plus de dignité de la personne humaine. Évidemment si la vérité se construit cela veut dire qu’il n’y aura jamais de vérité et que nous resterons simplement dans une lutte de pouvoirs jusqu’à détruire autrui (cela va du marxisme jusqu’à la théorie du genre). L’Église à la suite du Christ se situe dans une autre perspective qui est celle d’appeler l’homme à vivre selon la dignité de la personne humaine. Le préservatif n’est sans doute pas le meilleur moyen de rester digne avec soi-même et les autres pour se comporter habituellement. Mais dans le climat social de régression psychologique et morale dans lequel nous sommes, la sexualité est de plus en plus présentée dans les images sociales (publicité, films, théâtre, roman, séries télévisées) comme une réalité infrahumaine, même si heureusement, n’en déplaise aux médias, l’expérience des gens est en décalage avec ces représentations. Selon ces dernières, il ne s’agit plus de rencontrer l’autre, mais de s’éprouver soi-même dans le réflexe excitation/impulsion. Les personnalités plastiques et « liquides » de la période contemporaine, démunies de ressources internes et de références structurantes, finissent pas s’identifier à tout ce qu’elles entendent et ce qu’elles voient, et qui sert de stimulant à une conscience relativement vide de repères. Dans ce système, l’expression génitale devient un mode de soulagement étranger à la reconnaissance de l’autre qui, malgré soi, risque d’être instrumentalisé. L’exigence imposée du préservatif devient la « faute » à ne pas transgresser et la « burqa » antidépressive afin d’éviter l’évaluation du vécu. Une sexualité génitale qui s’exprime en dehors de tout engagement ne confine-t-elle pas à l’immaturité ? Qu’il y ait dans la vie personnelle des périodes de crise, de passage, des errements, voire des régressions, est une chose ; vouloir s’y installer et coder socialement la sexualité en terme d’instabilité protégée par le préservatif, c’est autre chose. L’Église est Mater et Magistra, elle accompagne, soutient et enseigne la vérité de l’amour.
Dans cet univers de confusion sexuelle et d’indistinction des désirs, il y a une difficulté à recevoir le discours de l’Église sur la sexualité qui s’inscrit dans l’anthropologie de la différence sexuelle et dans la dimension relationnelle de l’altérite qui engage et, de ce fait, rend possible l’enrichissement de l’expression sexuelle dans le couple constitué par un homme et une femme. Il est utile de rappeler qu’il n’y a que deux identités sexuelles : celle de l’homme et celle de la femme qui sont les conditions même de l’altérité et donc de l’amour. Un amour qui reste toujours à découvrir afin d’humaniser la sexualité dans le don et l’engagement envers l’autre dans la fidélité au sein d’une parole qui institue la relation et l’inscrit dans une alliance irréversible. Telle est l’espérance pour une sexualité libre et assumée.
Propos recueillis par Anita S. Bourdin