Comme tu t’en es bien rendu compte, ce problème n’est pas neutre : beaucoup de gens (à commencer par Darwin) ont été ébranlés dans leurs convictions religieuses par cette théorie. Il y a quelques temps, une amie me racontait que sa fille de six ans, qui venait d’entrer en CP, lui avait dit en rentrant de l’école : « Maman, tu sais, en fait, Dieu n’existe pas : la maîtresse nous a expliqué l’évolution ! ». L’idée selon laquelle le darwinisme aurait mis fin à toutes les vieilles croyances religieuses est devenue commune, largement diffusée dans les médias et dans certains milieux scientifiques.
Faut-il pour autant condamner cette théorie ?
Non.
En fait, comme nous le verrons dans la suite, cette théorie peut s’accorder dans une certaine mesure avec l’enseignement de l’Eglise. (L’Eglise nous enseigne qu’il ne peut pas y avoir de contradiction entre la foi et la raison. Rejeter la théorie de l’évolution au nom de la foi serait un désaveu de la raison et des capacités de l’homme à rejoindre le vrai.)
En revanche, un grand nombre de théologiens et de scientifiques, comme nous le verrons plus en détails dans la suite, dénoncent les idéologies philosophiques athées qui la déforment et la généralisent (notamment en affirmant comme des vérités absolues certains aspects de la théorie qui ne sont encore que des hypothèses, parfois très discutées dans le monde scientifique).
La théorie de l’évolution peut facilement servir de terreau pour des courants de pensées matérialistes. Tu sais, ce n’est pas un hasard si Friedrich Engels, après avoir lu De l’origine des espèces de Darwin, écrivit avec enthousiasme à Marx qu’il avait trouvé dans cet ouvrage le fondement scientifique de leur théorie.
Avant de répondre plus précisément à ta question, j’aimerais t’inviter à avoir confiance en l’enseignement de l’Eglise. Sache que le Pape, quand il traite de ces questions, est entouré par des spécialistes renommés venant du monde entier, et cela dans tous les domaines de la science. Si tu écoutais la hauteur des débats dans ces différentes commissions, tu verrais qu’on est bien loin du cliché de l’Eglise obscurantiste !
Alors, que faut-il penser ?
Tout d’abord que sur de nombreux points, la théorie de l’évolution s’accorde avec l’enseignement biblique :
Le texte de la Genèse raconte qu’après avoir créé l’univers et la terre, Dieu créa les différentes formes de vie et acheva son œuvre le sixième jour en créant l’homme.
Les scientifiques nous apprennent que la vie est apparue sur terre il y a environ trois milliards d’années, de façon progressive : d’abord sous la forme de bactéries, puis de cellules, puis sous des formes de vie primitives qui ont formé ensuite des algues et des mollusques, des poissons, des végétaux, des oiseaux et des animaux. L’homme, le dernier venu des êtres vivants sur la terre, est apparu il y a environ 150 000 ans.
Quand Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce », cela ne signifie pas qu’il est intervenu directement pour produire chaque espèce, mais qu’il a donné l’ordre que les lois de la nature soient à l’œuvre. Jusqu’ici, donc, pas de contradiction : le texte biblique semble expliquer, de façon poétique, ce qui est en jeu dans l’évolution.
D’où viennent alors les contradictions ?
Pour justifier le mécanisme de l’évolution, Darwin propose une théorie basée sur ce qu’il appelle « la sélection naturelle », qui guiderait l’évolution des espèces, en favorisant à chaque génération les individus les plus adaptés à leur milieu et à la reproduction. De façon imperceptible, sur des centaines de milliers d’années, ces petites adaptations auraient permit aux espèces de se complexifier et de se différencier. Darwin espérait ainsi que l’étude des fossiles permettrait de dégager toutes les phases de développement des espèces, puisque, selon ses propres mots : « la nature ne fait pas de saut ».
Même si je ne désire pas m’attarder sur l’aspect scientifique du problème, j’aimerais te présenter rapidement quelques unes des difficultés que rencontre la théorie à ce niveau là :
Certains scientifiques dénoncent l’incapacité du darwinisme à expliquer l’évolution des êtres complexes (la macro-évolution) : certes, la théorie peut rendre compte de l’évolution de la taille des ailes des mouches, parce que ce sont des modifications génétiques infimes (la micro-évolution), mais a du mal à expliquer l’évolution de certaines choses comme par exemple le système hormonal ou le cerveau humain. A un certain niveau de complexité, il faudrait que d’une génération à l’autre apparaissent en même temps plusieurs milliers de mutations... Pour te donner une image, ce serait un peu comme si, en te promenant avec tes patins à roulettes, tu fabriquais un vélo, et cela sans t’arrêter ; Montant alors sur ton vélo, tu le transformerais petit à petit en moto, puis en voiture et enfin en camion. Tu vois dans cet exemple qu’il est effectivement possible de mettre des genouillères ou un casque, mais qu’au-delà, c’est de la science fiction !
Cette difficulté est corroborée par l’observation des fossiles qui témoignent d’une grande discontinuité entre les espèces, comme le fait remarquer Ernst Mayr (†2005), le père de la biologie moderne de l’évolution. L’absence de formes transitionnelles entre les espèces contraste fortement avec l’idée d’une évolution linéaire, telle que la concevait Darwin.
Jérôme Lejeune (†1994), professeur de génétique et découvreur de la Trisomie 21, dénonce le problème de la barrière génétique des espèces. Comment expliquer qu’une mutation génétique se transmette à des descendants sans que cette modification ne se dilue ensuite dans l’espèce ? Faut-il postuler que chaque fois qu’une modification génétique apparait chez un individu, ce dernier quitterait ses proches pour former une nouvelle espèce ?
Dans les années 70, un généticien japonais, Motoo Kimura, a réfuté le rôle de la sélection naturelle dans sa théorie neutraliste de l’évolution moléculaire : Il semble en effet que la plupart des mutations ne sont pas adaptatives. Une énorme partie des mutations est neutre ne procurant ni avantage, ni handicap, et une autre partie importante est handicapante. Les mutations procurant un avantage sont quasiment inexistantes.
Rémy Chauvin, un biologiste et entomologiste français, dénonce l’aspect ‘tautologique’ du darwinisme : la sélection naturelle prédit la survivance du plus apte. Or quel est le plus apte ? Celui qui survit ! Du reste, que penser des milles et unes choses dans la nature, qui dépassent, de loin, la simple nécessité d’adaptation ? Comment expliquer qu’à côté d’un dispositif compliqué, on peut souvent en trouver un plus simple à proximité qui fonctionne apparemment aussi bien ?
Tu me répondras peut-être qu’il existe de nombreuses hypothèses pour résoudre toutes ces difficultés. C’est exact. Ce que je veux te montrer, c’est qu’on est encore très loin d’avoir compris tous les mécanismes de l’évolution. Or, parmi les objections, tu vois bien que certaines remettent en cause le rôle de la sélection naturelle comme seul moteur de l’évolution. Dès lors, on est en droit de se demander si le fait d’occulter ces objections n’est pas un parti-pris idéologique.
La science se définit comme ouverture au réel. Une théorie, aussi brillante soit-elle, doit toujours être critiquable. C’est même, d’un certain point de vue, ce qui garantie sa validité et permet à la science de progresser. Or, il est surprenant de voir que cette théorie est souvent présentée comme une théorie achevée, sur laquelle il n’y aurait plus rien à redire.
Mais au niveau philosophique et religieux, quel est le problème ?
La plupart des philosophes depuis Socrate ont postulé que l’esprit humain possédait quelque chose d’immatériel, puisque l’homme est capable de penser l’universel dans le particulier et de se saisir comme être pensant. C’est même le critère qui a permis de définir l’homme pendant des siècles : l’homme, pour Aristote et bien d’autres philosophes, est avant tout un animal doué de raison.
Or, la paléontologie et la génétique ont amené, avec la théorie de l’évolution, une nouvelle définition. Le critère principal est devenu la bipédie et la proximité génétique. Tu comprends qu’il y a là une question de fond très grave... qui faisait dire au professeur Lejeune, sur le ton de l’humour :
« Toute la confusion vient de ce que les spécialistes affublent du nom d’« homo » tout bipède différent d’un singe. Mais ce n’est pas le langage qui fabrique la réalité. Quand tu liras qu’on a trouvé un homme âgé d’un million d’années, dis-toi bien qu’on le mettrait dans un zoo s’il vivait encore et qu’on n’essaierait pas de l’envoyer à l’école. »
L’Eglise enseigne que « chaque âme spirituelle est immédiatement créée par Dieu », définition donnée par Pie XII dans l’encyclique Humani generis de 1950 (DS, 3896). Le pape affirme que le fait d’attribuer au corps humain son origine dans une matière déjà existante et vivante, n’est pas en contradiction avec la foi. L’âme spirituelle, en revanche, ne peut pas être un « produit » de l’Evolution. Elle n’est pas non plus « produite » par les parents, elle est immédiatement créée par Dieu.
Cette doctrine de l’Eglise traduit concrètement la vision biblique de la Création spéciale de l’homme en tant qu’unique être vivant « à l’image et à la ressemblance » de Dieu. D’après le récit symbolique de la Création, l’homme est certes tiré de la terre, mais il ne devint homme que lorsque Dieu lui insuffla « le souffle de vie » (Gn 2, 7). Cela lui confère sa dignité inaliénable, mais aussi sa responsabilité singulière, qui l’élève au dessus de tous les êtres vivants, et l’investit de la mission de devenir leur berger.
En focalisant notre attention sur la lente évolution de l’homme, certains ont pensé avoir prouvé qu’il n’y avait rien de sacré dans l’homme. Exit les superstitions et les mythes bibliques ! Ce faisant, ils ont oublié le principal :
« L’homme, si primitif soit-il, est le seul bipède à contempler le ciel. Toute théorie qui oublierait ce fait est sans intérêt. » (Prof. Jérôme Lejeune)
Pour en savoir plus :
Schönborn C. (2008) Hasard, ou plan de Dieu ? CERF
Abrégé du Catéchisme de l’Eglise Catholique : q.29 et suivantes.
Denton M. (1985) Evolution : A Theory in Crisis Burnett Books
Chauvin R. (1997) Le darwinisme ou la fin d’un mythe Ed. du Rocher
Lejeune J. (1968) Adam et Eve et le monogénisme Nouvelle Revue Théologique ; (1980) Lettre à Virginie