Ce dont les handicapés ont besoin, c’est d’une véritable compassion, et non d’une mort anticipée, soutient Michèle Boulva, directrice de COLF.
Au cours de cet entretien, Michèle Boulva s’est ouvert à ZENIT au sujet de la pression croissante en faveur de l’extension de l’euthanasie qui se fait sentir actuellement au Canada.
Question : Depuis maintenant un certain temps, un mouvement a fait jour dans votre pays en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Est-ce que ce mouvement se développe et a-t-il beaucoup d’impact sur l’opinion publique ?
Boulva : Ces questions très préoccupantes font la une des nouvelles canadiennes depuis environ 15 ans, chaque fois que les médias font état de situations dramatiques ou qu’un projet de loi est proposé.
Il faut dire que le vieillissement de la population lié à l’amélioration des soins de santé fournit une recette parfaite pour la promotion de l’euthanasie et du suicide assisté.
Les instigateurs de ces pratiques, indignes d’une société civilisée, déclarent que nous devrions tous avoir le droit de choisir la manière de notre propre mort et son moment. Ils soulignent la thèse selon laquelle la société n’a pas le droit de nous imposer des souffrances supplémentaires en nous forçant à vivre contre notre volonté.
Les enquêtes d’opinion les plus sérieuses montrent, en outre, que la population canadienne est divisée en parts égales à ce sujet. Néanmoins, une prudence s’impose dans l’interprétation de ces sondages car il règne une grande confusion au sein de la population. Certains, par exemple, déclarent être en faveur de suicide assisté alors qu’en réalité ils veulent affirmer leur rejet de l’acharnement thérapeutique.
Q : Les évêques du Canada ont pris une position tranchée contre ce plan et invitent sans cesse les fidèles à faire de même. Leur organisation en faveur de la vie et de la famille est engagée dans une bataille globale. Pouvez-vous nous faire une récapitulation historique des principaux moments du combat mené par l’Eglise ?
Boulva : Au delà de son action éducative et pastorale relative au respect inconditionnel envers la vie et la dignité humaine, les évêques interviennent en public chaque fois que l’actualité le réclame.
Plusieurs cas ont captivé l’attention du public au Canada au cours des ans, entre d’autres celui de Sue Rodriguez, une femme de 41 ans affectée d’une sclérose latérale amyotrophique, appelée également maladie de Lou Gehrig, et qui a lutté de 1991 à 1994 pour le droit de mourir.
Les juges de la cour suprême ont rejeté la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté à une faible majorité, 5 contre 4, si bien que Mme Rodriguez s’est suicidée en 1994 avec l’aide d’un docteur demeuré inconnu.
En 1993, un fermier du Saskatchewan a été condamné à une peine de prison pour avoir tué sa fille âgée de 12 ans, qui souffrait de paralysie cérébrale. Robert Latimer déclara avoir agi par amour, incapable de supporter plus longtemps la douleur de sa fille.
Au Québec, en 2004, Marielle Houle a aidé son fils, Charles Fariala, âgé de 36 ans, qui souffrait de la sclérose en plaques, à se suicider. Mme Houle a également déclaré avoir agi par amour. Au vu de son âge et de son état de santé, elle a été condamnée à trois ans avec sursis plutôt que de prison ferme.
Par ailleurs, en juin 1995, la commission spéciale du sénat sur l’euthanasie et le suicide assisté a publié un rapport intitulé "De la vie et de la mort."
Cette commission n’est jamais parvenue à un consensus sur l’euthanasie ou le suicide assisté, mais a fait des recommandations unanimes concernant les soins palliatifs.
Cinq ans plus tard, une sous-commission du sénat a observé que la mise en œuvre de ces recommandations demeurait incomplète et a fait 14 nouvelles propositions au sujet des soins palliatifs. Beaucoup reste à faire dans ce domaine, bien que les hôpitaux et les centres consacrés à cette mission effectuent déjà un travail formidable, très apprécié des familles.
Q : La raison la plus souvent invoquée par les personnes qui souhaitent ouvrir la porte à la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté est le désir de soulager les souffrances de la personne. N’est-ce pas étrange d’entendre parler de ces gestes en termes de compassion envers la personne qui souffre. Quelle réponse y apportez-vous ?
Boulva : C’est une conception incorrecte de la compassion, qui tôt ou tard menace les citoyens, en particulier les personnes les plus vulnérables, malades et handicapées.
Prétendre alléger la souffrance en éliminant le patient est une absurdité. Parmi ces derniers d’ailleurs, ceux qui demandent la mort ne le font pas toujours ainsi en raison de leurs souffrances. Pour beaucoup, c’est un appel à l’aide face à la solitude et face au sentiment d’être un fardeau pour autrui.
La réponse à leur cri réside en une présence attentive emplie de chaleur et d’amour humain. Ils ont besoin d’attention, d’être entendus, de l’affection de leurs proches et du personnel soignant afin de pouvoir « supporter leur douleur dans la dignité. »
En ce qui concerne les familles, elles ont besoin de l’appui de l’Etat et de la société pour assumer leurs responsabilités envers leurs malades vieillissants et mourants.
Selon les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté, une vie de douleur ne vaut pas la peine d’être vécue tandis que la dignité de la personne diminue dans la mesure où la maladie et la douleur désagrègent le corps.
Considérons un instant l’envers de la médaille. N’est-il pas envisageable qu’une vie condamnée à la souffrance vaille néanmoins la peine d’être vécue ? Qu’elle pourrait être une invitation à croître sur les plans moral et spirituel ? Et si la dignité de l’homme persistait en dépit de la maladie qui ronge son corps ?
Et si c’était le simple fait d’être un être d’humain et d’avoir été créé à l’image de Dieu qui assure notre dignité, plutôt que notre capacité d’autonomie, notre santé ou notre utilité sociale ? Et si toutes les personnes qui souffrent nous appelaient à plus de solidarité humaine ?
Ce dont les malades, les mourants et les handicapés ont besoin, n’est pas une mort prématurée mais davantage d’attention et d’une véritable compassion.
Q : Certaines personnes revendiquent le droit de mourir au nom de la liberté. Que doit-on en penser ?
Boulva : Dans notre culture, l’autonomie personnelle est presque devenue un absolu. Chaque choix est jugé valide aussi longtemps qu’il ne nuit pas à autrui.
Appliqué à l’euthanasie et au suicide assisté, cette attitude individualiste menace le bien commun de la société parce qu’elle a des conséquences non seulement pour la personne qui choisit de mourir, mais pour la société tout entière.
Ainsi que l’écrit Margaret Sommerville, experte canadienne renommée en matière d’éthique : « la légalisation de l’euthanasie nuirait aux valeurs et aux symboles importants de la société, qui sont fondés sur le respect de la vie humaine. »
Notre perception de la valeur et de la dignité de chaque vie humaine changerait. Comme produit de consommation, la vie humaine perdrait sa valeur dès lors qu’on s’approcherait de la « date limite de consommation ».
La confiance de base que nous plaçons dans les médecins, dans le personnel soignant, dans les avocats, sachant qu’ils sont opposés à l’élimination de toute personne, disparaîtrait.
De plus, il serait également très difficile d’empêcher l’abus. Dans notre société qui vieillit, qui doit faire face à l’augmentation des coûts de santé, on courrait bien vite le risque de voir le prétendu droit de mourir devenir un « devoir de mourir. »
Selon la tradition chrétienne, Dieu accorde aux êtres humains un certain degré d’autonomie : notre intelligence et notre volonté nous permettent de prendre nos propres décisions. Cependant, nous ne sommes pas le propriétaire du don de la vie ; nous n’en sommes que l’intendant.
La liberté véritable nous mène non seulement à choisir mais à choisir le bien véritable que Dieu nous a révélé pour notre bonheur éternel. Chaque fois que nous faisons usage de notre liberté, ou que nous posons un acte d’auto-détermination qui contredit le plan que Dieu a formulé pour chacun de nous, que ce soit en qualité d’individus ou d’être sociaux, tout cela est contraire à la liberté véritable.
Q : À l’occasion de la Journée Mondiale des Malades, vous avez publié un feuillet intitulé « Vie, souffrance et mort... Pour quoi faire ? » A qui ceci est-il adressé ?
Boulva : Bien que cette publication soit adressée en principe aux catholiques, elle sera également d’intérêt pour toute personne à la recherche du bonheur et de la signification de l’existence et de la souffrance. Nous l’avons conçue dans le contexte d’une société déchristianisée, confrontée au besoin de redécouvrir ses racines.
Le temps est venu pour proposer à nouveau l’espérance chrétienne. Le Christ vient pour donner une signification inattendue à notre vie. Beaucoup trouvent en lui la source de leur persévérance, de leur espoir, mais aussi de leur joie face à l’adversité.
Cette réflexion invite le lecteur à contempler un des grands mystères de la vie : la douleur et la souffrance. Elle leur révèle leur signification chrétienne profonde et leur inspire un sentiment renouvelé d’espérance, de courage et de paix.
Q : Sur quels points insistez-vous en particulier ?
Boulva : Nous rappelons le plan formidable de Dieu, qui est son amour pour chacun de ses enfants sur terre, son désir d’entrer dans un rapport d’amitié avec chacun de nous, son rêve de nous voir collaborent librement avec lui pour construire un monde plus juste et plus humain, et comment tout ceci se produit dans la vie ordinaire et quotidienne.
C’est là que nous pouvons faire l’expérience d’une rencontre extraordinaire avec Dieu : tout simplement au travail et au sein de la vie de famille, dans notre temps libre et à l’occasion d’engagements sociaux, de parler à Dieu et de tout lui offrir par amour.
Car le Christ a voulu donner une signification divine à nos vies. Nos croix, grandes et petites, unies à la sienne, trouvent toute leur signification dans l’Eucharistie. C’est là que le Christ les prend et les offre en même temps que sa propre croix, de telle sorte que nous devenions co-rédempteurs avec lui. Peut-on imaginer une plus grande dignité ?
Finalement, nous traitons de la question de la solidarité, des soins palliatifs et de l’appel à une véritable compassion que le Christ nous adresse, et qui se manifeste chez la personne seule, handicapée, angoissée et laissée pour compte.
En même temps, chacun de nous est appelé à servir le Christ souffrant, à être le Christ serviteur, qui soutient autrui en ses moments de souffrance de sorte qu’il garde courage jusqu’au terme naturel de sa vie.
C’est cela que signifie pour un chrétien l’accompagnement des mourants : aider autrui jusqu’à l’arrivée naturelle du moment le plus important d’une vie, le passage à la vie éternelle et la rencontre avec Dieu en tête à tête.